Dans les secteurs du soin, du service public ou du médico-social, les professionnels sont en première ligne, souvent confrontés à des situations de tension. Gérer l'agressivité et la violence est devenu une compétence essentielle, non seulement pour assurer sa propre sécurité, mais aussi pour garantir la qualité de la prise en charge de l'usager. Loin d’être une fatalité, ces comportements peuvent être compris, anticipés et désamorcés. Ce guide pratique vous fournit les clés et les outils pour transformer les situations d'agressivité en opportunités de rétablir la communication et de préserver un environnement de travail serein. Une enquête de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) révèle que plus d'une personne sur cinq aurait subi de la violence ou du harcèlement au travail, soulignant l'urgence d'acquérir ces compétences.
Points clés
- Comprendre pour prévenir : distinguer agressivité, violence et incivilités, repérer les déclencheurs et les signes d’escalade pour intervenir tôt.
- Désamorcer avec méthode : posture non menaçante, écoute active, reformulation, offres de choix et gestion de son propre stress.
- Sécuriser et apprendre : protocoles clairs en crise, débriefing et soutien post-incident, amélioration continue et formation régulière.
Comprendre l'agressivité et la violence pour mieux agir

Avant d’agir, il est fondamental de comprendre ce à quoi on fait face. Une analyse claire des concepts et des mécanismes en jeu est la première étape d'une gestion efficace.
1.1. Distinguer l'agressivité, la violence et les incivilités
Ces termes sont souvent confondus, pourtant ils désignent des réalités distinctes qui appellent des réponses différentes. L'agressivité est une manifestation émotionnelle, un état de tension interne qui peut être verbal ou non verbal. La violence est le passage à l'acte, une action intentionnelle visant à nuire physiquement ou psychologiquement. Les incivilités, quant à elles, sont des manquements aux règles de courtoisie et de respect, souvent sources de frustrations pouvant mener à l'agressivité.
1.2. Les mécanismes et facteurs déclenchants des comportements agressifs
Un comportement agressif est rarement un événement isolé ; il est souvent la conséquence de multiples facteurs. Ces derniers peuvent être internes à l'usager (douleur, anxiété, maladie, frustration, sentiment d'injustice) ou externes, liés à l'environnement (temps d'attente, bruit, manque d'informations, locaux inadaptés). Le comportement du professionnel lui-même, même involontaire, peut également être un facteur déclencheur s'il est perçu comme un manque d'écoute ou de respect.
1.3. Identifier les signes d'alerte et les dynamiques d'escalade
La plupart des crises de violence sont précédées d'une phase d'escalade. Savoir en reconnaître les signes est crucial pour une prévention efficace. Ces signaux peuvent être non verbaux (regard fixe, poings serrés, agitation motrice, invasion de l'espace personnel) ou verbaux (haussement de ton, propos menaçants, accusations, refus de communiquer). Ignorer ces alertes peut mener à une montée en puissance rapide de la tension, rendant le désamorçage plus difficile.
L'Anticipation et la Prévention : Bâtir un environnement sécure
La meilleure gestion de la violence est celle qui n’a pas lieu d’être. La prévention est la stratégie la plus efficace et durable pour réduire les situations d'agressivité.
2.1. Les actions préventives au quotidien
La prévention commence par la création d’un climat de confiance et de respect. Cela passe par des actions simples : un accueil bienveillant, une communication claire et transparente sur les procédures ou les délais, et une posture professionnelle d'écoute active. Un environnement physique accueillant, propre et bien organisé contribue également à réduire le stress et l'anxiété des usagers. Le professionnel doit s’efforcer d'être une source de calme et de prévisibilité.
2.2. Prévenir et gérer les situations à risques
Certaines situations sont intrinsèquement plus à risque : annoncer une mauvaise nouvelle, faire face à une personne sous l'emprise de substances, ou gérer des conflits entre usagers. Il est essentiel d'anticiper ces moments en préparant son intervention, en s'assurant d'avoir le soutien d'un collègue si nécessaire, et en choisissant un lieu adapté (calme, avec une possibilité de sortie). Mettre en place des protocoles clairs au sein de l'équipe pour ces scénarios est un facteur clé de sécurité.
Le Désamorçage : L'art de baisser la tension

Lorsque la tension monte malgré la prévention, les techniques de désamorçage permettent d'intervenir pour éviter l'escalade vers la violence.
3.1. Principes fondamentaux d'une posture de désamorçage
La posture de l'intervenant est déterminante. Elle doit être non menaçante et inspirer la confiance. Maintenez une distance de sécurité (environ la longueur d'un bras), positionnez-vous légèrement de côté plutôt que de face, et gardez vos mains visibles et ouvertes. Votre calme est votre principal outil : une voix posée et un rythme lent peuvent influencer positivement l'état émotionnel de votre interlocuteur. L'objectif est de montrer que vous n'êtes pas une menace, mais une aide.
3.2. Techniques de communication verbale pour désamorcer l'agressivité
La communication est au cœur du désamorçage. L'écoute active est primordiale : laissez la personne s'exprimer sans l'interrompre et montrez que vous entendez sa détresse. Utilisez la reformulation ("Si je comprends bien, vous êtes en colère parce que...") pour valider son émotion sans pour autant approuver son comportement. Concentrez-vous sur les faits et le besoin sous-jacent à l'agressivité verbale. Évitez les justifications, les jugements et les ordres. Proposez des choix ou des solutions pour redonner un sentiment de contrôle à l'usager.
3.3. Gérer ses propres émotions et son stress
Faire face à l'agressivité est stressant. Il est impossible de calmer quelqu'un si l'on est soi-même submergé par ses émotions. La gestion du stress est une compétence professionnelle fondamentale. Des techniques simples comme la respiration abdominale permettent de réguler son rythme cardiaque et de rester lucide. Apprenez à reconnaître vos propres signaux de stress (gorge nouée, mains moites) pour pouvoir agir dessus avant de perdre le contrôle.
Face à la violence avérée : Gérer la crise et protéger

Si le désamorçage échoue et que l'agressivité se transforme en violence physique, la priorité absolue bascule de la communication à la sécurité.
4.1. Reconnaître le passage à l'acte et la violence physique
Le passage à l'acte est souvent marqué par une rupture nette. Les menaces deviennent des actions : un objet est jeté, un coup est porté. À ce stade, le dialogue est rompu. Il ne s'agit plus de convaincre, mais de se protéger et de protéger les autres. L'objectif est de mettre fin à la situation de danger le plus rapidement possible.
4.2. Stratégies d'intervention immédiate et gestion de crise
La priorité est de créer de la distance entre l'agresseur et les victimes potentielles. Alertez immédiatement vos collègues ou les services de sécurité via les protocoles établis. Si possible, isolez la personne violente tout en assurant une voie de sortie pour vous-même et les autres. Ne tentez pas de maîtriser physiquement la personne seul, sauf si vous y avez été spécifiquement formé et que c'est l'unique moyen de protéger une vie.
4.3. Le rôle de l'intervenant durant la crise
Durant la crise, le professionnel devient un gestionnaire de sécurité. Son rôle est de donner des instructions claires et concises ("Sortez par ici !", "Appelez la sécurité !"), d'évacuer les personnes en danger et de coopérer avec les intervenants spécialisés (sécurité, police). Il est crucial de rester le plus factuel possible et de ne pas aggraver la situation par des provocations.
Après l'incident : Soutien, analyse et amélioration continue

La gestion de la violence ne s'arrête pas lorsque la crise est terminée. La phase post-incident est essentielle pour le bien-être des équipes et l'amélioration des pratiques.
5.1. La prise en charge post-incident
Un incident violent est un événement traumatisant. Une prise en charge immédiate des professionnels impliqués est indispensable. Organiser un débriefing à chaud avec l'équipe permet de verbaliser les émotions et de s'assurer que personne ne reste isolé avec son vécu. Un soutien psychologique doit être proposé systématiquement. La reconnaissance de l'impact de l'événement par l'institution est un facteur de résilience.
5.2. Analyse et apprentissage des événements
Chaque incident doit être analysé à froid pour en tirer des leçons. Qu'est-ce qui a déclenché la crise ? Nos protocoles ont-ils été efficaces ? Que pouvons-nous améliorer dans notre environnement, notre communication ou notre organisation pour éviter que cela ne se reproduise ? Cette démarche d'amélioration continue transforme une expérience négative en une opportunité de renforcer la sécurité de tous.
5.3. Cadre juridique et éthique
Le professionnel a le droit d'être protégé par son employeur. Il doit connaître les procédures pour signaler un incident et les démarches possibles (main courante, plainte). Il est important de rappeler que les agents de la fonction publique, souvent en première ligne, sont plus exposés. Selon des données de l'Insee, ils sont plus souvent victimes d'injures, de menaces ou de harcèlement que les salariés du privé (14 % contre 12 %).
Votre boîte à outils et le renforcement des compétences
La gestion de l'agressivité repose sur des compétences qui se travaillent et des outils qui se maîtrisent.
6.1. Outils pratiques pour le désamorçage et la prévention
Constituez votre "boîte à outils" personnelle : maîtrisez une ou deux techniques de respiration pour la gestion du stress, apprenez des schémas de communication comme la méthode DESC (Décrire, Exprimer, Spécifier, Conséquences) pour formuler des demandes claires, et utilisez des grilles d'observation pour repérer plus vite les signaux d'alerte. Ces outils simples, pratiqués régulièrement, deviennent des réflexes en situation de crise.
6.2. L'importance cruciale de la formation continue
Ces compétences ne sont pas innées. Une formation de qualité est indispensable pour les acquérir et les entretenir. Une bonne formation en gestion de l'agressivité doit dépasser la théorie et proposer des mises en situation et des jeux de rôle pour s'entraîner au désamorçage. La durée de cette formation est un indicateur de sa profondeur ; elle permet d'intégrer durablement les techniques et postures adéquates.
6.3. Ressources et soutien additionnels
Ne restez jamais seul face à ces difficultés. Appuyez-vous sur votre équipe, votre hiérarchie, les services de santé au travail ou les ressources humaines. Le partage d'expériences avec des pairs est également une source de soutien et d'apprentissage précieuse. Des groupes d'analyse de la pratique peuvent être mis en place pour échanger sur les situations vécues et trouver des solutions collectives.
Conclusion : Vers une culture de la bienveillance et de la sécurité
La gestion de l'agressivité et de la violence est un enjeu majeur pour la qualité de vie au travail et l'efficacité de la prise en charge des usagers. Plutôt qu'une série de réactions à des crises, elle doit s'inscrire dans une démarche globale et proactive. Cela implique de comprendre les mécanismes du comportement humain, de maîtriser des techniques de communication et de désamorçage, et de savoir se protéger lorsque la situation dégénère.
L'investissement dans une formation continue et le développement d'une culture organisationnelle qui valorise la prévention, le soutien aux équipes et l'analyse des incidents sont les piliers d'un environnement plus sûr. En adoptant cette approche, chaque professionnel devient un acteur clé non seulement de sa propre sécurité, mais aussi de la création d'un climat de confiance et de respect mutuel.
Questions fréquemment posées (FAQ)
Comment différencier agressivité, violence et incivilités ?
L’agressivité est une tension/émotion pouvant s’exprimer verbalement ou non-verbalement ; la violence est le passage à l’acte intentionnel qui nuit ; les incivilités sont des manquements aux règles de respect. Les réponses vont de la régulation émotionnelle (agressivité) à la protection/signalement (violence).
Quels sont les signes d’escalade à repérer en premier ?
Hausse du volume de voix, propos accusatoires, agitation motrice, regard fixe, poings serrés, invasion de l’espace personnel, refus du dialogue. Plus l’on intervient tôt, plus l’on dispose d’options non coercitives.
Quelle posture adopter pour désamorcer rapidement ?
Se placer de trois-quarts, mains visibles, voix posée, distance de sécurité (≈ un bras), rythme lent. Montrer soutien sans confrontation : « Je veux vous aider à… », plutôt que « Calmez-vous ».
Quelles techniques verbales fonctionnent le mieux ?
Écoute active, reformulation du besoin/ressenti (« Si je comprends… »), validation de l’émotion sans valider le comportement, questions ouvertes, propositions de choix concrets et limites claires (méthode DESC).
Comment gérer mon propre stress face à l’agressivité ?
Respiration abdominale 4-6, ancrage corporel (pieds/respir), auto-parole professionnelle (« je reste factuel »), micro-pauses après l’échange. L’entraînement régulier rend ces réponses réflexes.
Que faire si la violence éclate malgré tout ?
Basculer en mode sécurité : alerter, créer de la distance, évacuer/isolement sécurisé, ne pas intervenir seul physiquement sans formation, préserver une voie de sortie. Coopérer avec sécurité/police selon le protocole.
À quoi sert le débriefing post-incident ?
À ventiler les émotions, prévenir l’impact psychique, consolider le collectif, analyser les causes et ajuster procédures/aménagements. Proposer un soutien psychologique et documenter l’événement.
Quelles formations et outils privilégier ?
Formations avec mises en situation (jeux de rôle, scénarios), travail sur posture/communication, modules « gestion de crise ». Outils : méthode DESC, grilles d’observation, plans d’intervention, exercices de respiration, check-lists d’environnement.
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Références
- OIT (Organisation Internationale du Travail). Violence et harcèlement au travail : enquête mondiale.
- INRS (France). Prévention des risques d’agression du public : repères et outils.
- HAS. Qualité de la relation/usager – gestion des situations difficiles en soins.
- HSE (UK). Work-related violence: case studies and guidance for employers.
- CNA (Canada). De-escalation techniques in healthcare settings: best practices.
- NICE (UK). Violence and aggression: short-term management in mental health, health and community settings.
- Crisis Prevention Institute. Nonviolent Crisis Intervention® Guidelines.
- OSHA (US). Guidelines for preventing workplace violence for healthcare and social service workers.